Déclaration de HOME ! Alliance sur les expériences de géo-ingénierie marine

Photo: U.S. Department of Energy Atmospheric Radiation Measurement (ARM) user facility/Flickr

Nous, membres de la société civile, de Peuples Autochtones et d’organisations communautaires du monde entier, sommes profondément préoccupés par la prolifération des expériences, planifiées ou déjà en cours, de géo-ingénierie marine en plein air et en milieu aquatique, qui ont en grande partie recours à la vente de crédits carbone, au mépris des accords internationaux.

De plus en plus, nos océans sont menacés non seulement par les impacts de la surexploitation et de la crise climatique, mais aussi par ces initiatives trompeuses de manipulation des systèmes terrestres dans le but de contrer certains des symptômes du changement climatique. L’immensité des océans, leur vulnérabilité et leur nature relativement vierge sont encore très mal comprises, alors qu’ils nourrissent la vie sur terre et sont notre meilleur allié dans la lutte contre le changement climatique. Les exploiter ainsi présente des incertitudes et des risques inestimables, et les effets de la géo-ingénierie marine sur les océans sont imprévisibles.

Les tentatives théoriques et expérimentales de géo-ingénierie en milieu marin comprennent actuellement l’augmentation de la réflectivité des nuages marins ou de la surface de l’océan ; l’élimination du dioxyde de carbone marin – en déversant des minéraux ou de la biomasse dans l’océan pour augmenter l’absorption du carbone, en faisant circuler des courants électriques dans l’eau de mer ou en pompant de l’eau froide dans les profondeurs de l’océan vers la surface ; ainsi que les efforts pour stopper la fonte de la glace en répandant des microbilles ou en pompant de l’eau salée en surface.

Aucune de ces technologies ne s’attaque aux causes profondes du changement climatique ; au contraire, le recours à des artifices technologiques spéculatifs retarde l’adoption de mesures vitales pour réduire les gaz à effet de serre. Aucune n’a pu démontrer qu’elle pouvait efficacement piéger le carbone ou le stocker de manière permanente, tandis que les efforts visant à refroidir le climat en augmentant la réflectivité sont par essence imprévisibles et risquent de perturber encore davantage un système climatique déjà déstabilisé. Il est très probable que la géo-ingénierie marine modifie la chimie des océans, entraîne des changements dans les niveaux de nutriments disponibles et, par conséquent, dans l’abondance des espèces, altérant ainsi les équilibres délicats des interactions entre les espèces 12.

Nous rejoignons les Parties à la Convention / Protocole de Londres (LC/LP) dans leur déclaration de l’an dernier relative à quatre catégories clés de géo-ingénierie marine : « il existe une grande incertitude quant à leurs effets sur le milieu marin, la santé humaine et les autres utilisations de l’océan », et nous avons exprimé notre inquiétude quant à la possibilité « d’avoir des incidences étendues, durables ou graves sur le milieu marin. »

Malgré le moratoire de facto sur la géo-ingénierie dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique (CDB), en place depuis 2010, et le processus actuel qui pourrait soumettre plusieurs catégories supplémentaires de géo-ingénierie marine à un contrôle réglementaire strict dans le cadre de la Convention / Protocole de Londres (qui interdisent déjà les activités commerciales de fertilisation des océans 3), des expériences en plein air relevant de toutes ces catégories ont récemment été menées ou sont actuellement en cours, et de nombreuses nouvelles expériences sont envisagées.

Bien que les techniques varient considérablement, elles ont un point commun : pour commencer à influencer le climat au niveau mondial, il faudrait intervenir à des échelles gigantesques, dans des écosystèmes océaniques extrêmement complexes et fragiles. L’augmentation de l’alcalinité des océans, la remontée artificielle des eaux et la fertilisation en fer des océans nécessiteraient, en théorie, la manipulation d’environ 10 % de la surface des océans pour que l’impact sur le climat soit significatif 4. Cependant, même les échelles définies pour les « essais » peuvent être considérables : un projet d’éclaircissement des nuages marins, désormais reporté, propose une expérimentation sur une zone de 10 000 km² dans le nord-est du Pacifique 5, tandis qu’un projet de méga-ferme d’algues flottantes se développera progressivement jusqu’à occuper 94 000 km² dans le sud de l’Atlantique, soit une superficie plus grande que celle du Portugal 6. À cela s’ajoute l’ampleur des infrastructures et des transports associés. Dans le cas de l’augmentation de l’alcalinité des océans, l’augmentation massive de l’exploitation minière – avec tous les impacts environnementaux et carbone associés – serait nécessaire car il faut théoriquement environ 2 tonnes de minerai de roche pour absorber 1 tonne de carbone 7.

Ce que beaucoup de ces projets ont en commun, c’est le rôle moteur joué par les marchés du carbone, avec des start-ups qui mènent des expériences en plein air en vendant ou en pré-vendant des promesses de crédits carbone sans aucune preuve fiable que cela « fonctionnera », et en dépit du fait que l’intérêt commercial est en complète contradiction avec les réglementations existantes et émergentes. Toute défaillance ou fuite causées par ces expériences entraînerait à l’avenir une augmentation nette des émissions. Les opérations de ces entreprises sont également peu transparentes quant au suivi, aussi bien des résultats attendus que des conséquences néfastes. Les négociations menées dans le cadre de l’article 6 de l’Accord de Paris risquent de légitimer et d’ancrer ces techniques hautement spéculatives et risquées.

De plus, la géo-ingénierie marine entraîne de nouveaux risques pour les moyens de subsistance des Peuples Autochtones, des communautés traditionnelles et des pêcheurs qui dépendent des écosystèmes marins et côtiers. Le rapport du Conseil des droits humains sur la question a conclu que les technologies de modification du climat, y compris certaines techniques de géo-ingénierie marine, « pourraient gravement entraver l’exercice des droits humains pour des millions, voire des milliards de personnes » et que « le déploiement potentiel [des technologies de géo-ingénierie] aurait un impact massif et disproportionné sur les Peuples Autochtones, dont les terres et territoires traditionnels sont particulièrement exposés et risquent de faire l’objet d’utilisations expérimentales » 8.

La géo-ingénierie dans nos océans est une distraction dangereuse des vraies solutions à la crise climatique et donne à l’industrie des combustibles fossiles une échappatoire potentielle tout en mettant nos océans et nos communautés côtières en grave danger.

Nous exhortons donc les gouvernements à :

  • Empêcher la réalisation d’expériences de géo-ingénierie marine en plein air ;
  • Protéger les océans, les écosystèmes marins et les communautés et Peuples Autochtones qui en dépendent, notamment en faisant respecter le principe de précaution, le droit au consentement libre, informé et préalable, et les droits d’accès à l’information, de participation du public à la prise de décision et d’accès à la justice ;
  • Maintenir, mette en œuvre et renforcer le moratoire de facto de la Convention sur la diversité biologique concernant toutes les formes de géo-ingénierie, en place depuis 2010 ;
  • Soutenir l’élaboration, dans le cadre de la Convention / Protocole de Londres, de contrôles réglementaires rigoureux selon le principe de précaution concernant l’augmentation de l’alcalinité des océans, la culture de biomasse pour l’élimination du carbone, l’éclaircissement des nuages marins et l’amélioration de l’albédo de surface à l’aide de particules réfléchissantes et/ou d’autres matériaux, et qui soient au moins aussi stricts que ceux déjà en place pour la fertilisation des océans ;
  • Prioriser d’urgence de vraies solutions à la crise climatique en éliminant progressivement et équitablement les combustibles fossiles, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, et en soutenant les nombreuses alternatives décentralisées, diverses et facilement disponibles pour des modes de production et de consommation socialement et écologiquement durables, y compris le financement climatique par les pays riches en fonction de leurs parts équitables et actions participatives.

1 Russell LM, Rasch PJ, Mace GM, Jackson RB, Shepherd J, Liss P, Leinen M, Schimel D, Vaughan NE, Janetos AC, Boyd PW, Norby RJ, Caldeira K, Merikanto J, Artaxo P, Melillo J, Morgan MG. Ecosystem impacts of geoengineering: a review for developing a science plan. Ambio. 2012 Jun;41(4):350-69. doi: 10.1007/s13280-012-0258-5. Epub 2012 Mar 20. PMID: 22430307; PMCID: PMC3393062.

2 https://www.oneearth.org/marine-geoengineering-a-dangerous-distraction-from-real-climate-action/

3 Les résolutions LC-LP.1(2008) et LC-LP.2(2010) définissent le cadre dans lequel (i) les activités de fertilisation des océans autres que la « recherche scientifique légitime » ne sont pas autorisées et (ii) les opérations commerciales ou autres déploiements à grande échelle sont exclus de la définition de « recherche scientifique légitime ».

4 High level review of a wide range of proposed marine geoengineering techniques.

5 https://map.geoengineeringmonitor.org/srm/marine-cloud-brightening-project-(mcbp)

6 https://map.geoengineeringmonitor.org/other/seafields-solutions-ltd-giga-farm-in-the-south-atlantic-gyre

7 https://www.geoengineeringmonitor.org/2021/04/enhanced-weathering-factsheet/

8 A/HRC/54/47 Rapport du comité consultatif du Conseil des droits humains sur l’incidence des nouvelles technologies visant à protéger le climat sur l’exercice des droits de l’homme, septembre 2023.

Signatures (veuillez ajouter ci-dessous le nom de votre groupe) :

  1. AbibiNsroma Foundation
  2. Acción Ecológica, Ecuador
  3. Adéquations, France
  4. Afrihealth Optonet Association (AHOA)
  5. Alianza Biodiversidad América Latina
  6. Alianza por la Agrobiodiversidad, Colombia
  7. Amnesty International
  8. Animals Are Sentient Beings, Inc
  9. Asia Indigenous Peoples Network on Extractive Industries and Energy (AIPNEE)
  10. Asian Peoples’ Movement on Debt and Development (APMDD)
  11. Association For Promotion Sustainable Development, India
  12. Association KANDILI, Niger
  13. Association pour la Conservation et la Protection des Écosystèmes des Lacs et l’Agriculture Durable (ACOPELAD), DRC
  14. Biofuelwatch (BFW)
  15. BlueGreen, Coastal Resource Centre, Kerala India
  16. Carbon Market Watch
  17. CartoCrítica, Mexico
  18. Center for International Environmental Law (CIEL)
  19. Centre pour la Justice Environnementales Togo (CJE-Togo)
  20. Centro Ecológico, Brasil
  21. CESTA Friends of the Earth El Salvador
  22. CleanEarth4Kids.org
  23. Climate Action for Lifelong Learners (CALL), Canada
  24. Climate Justice Alliance (CJA)
  25. Climate Watch Thailand, Thailand
  26. Community Action For Health And Development (CAHED), Kenya
  27. Conexiones Climáticas, Mexico
  28. Congo Basin Conservation Society (CBCS Network), DRC
  29. Congo Basin Primary Forest Alliance (CBPFA)
  30. Continental Network of Indigenous Women of the Americas-ECM
  31. Corporate Accountability
  32. Corporate Europe Observatory (CEO)
  33. Deutsche Stiftung Meeresschutz
  34. Disability Peoples Forum, Uganda
  35. Dr Uzo Adirieje Foundation (DUZAFOUND)
  36. Durable (ACOPELAD), DRC
  37. EcoNexus
  38. ENGENERA (Energía, Género y Ambiente), México
  39. Environmental Investigation Agency (EIA)
  40. Equidad de Género, Ciudadanía, Trabajo y Familia, México
  41. Equidad de género: ciudadanía, trabajo y familia, México
  42. ETC Group
  43. European Environmental Bureau (EEB)
  44. Food & Water Action Europe
  45. Food & Water Watch
  46. Friends of the Earth International (FOEI)
  47. Friends of the Earth Japan
  48. Friends of the Earth Malta
  49. Friends of the Earth Scotland
  50. Friends of the Earth U.S.
  51. Fundación ProDefensa de la Naturaleza y sus Derechos
  52. Global Forest Coalition (GFC)
  53. Global Justice Ecology Project
  54. GlobalChoices, USA/UK
  55. Grassy Hills Center for Holistic – Wellbeing and Empowerment Foundation
  56. GreenLatinos
  57. Group for the Development of Women and Girls – GDMR, Mozambique
  58. Grupo Semillas, Colombia
  59. Health of Mother Earth Foundation (HOMEF)
  60. Heinrich Boell Foundation (hbf)
  61. Human Environmental Association for Development (HEAD)
  62. Indian Confederation of Indigenous and Tribal Peoples (ICITP)
  63. Indian Point Safe Energy Coalition
  64. Indigenous Environmental Network (IEN)
  65. Institute for Policy Studies Climate Policy Program
  66. Just Transition Alliance
  67. Justiça Ambiental/ Friends of the Earth Mozambique
  68. Keepers of the Water
  69. Les Amis de la Terre-Togo
  70. Memphis Community Against Pollution
  71. National Fishworkers Forum (India)
  72. Network of youth organizations engaged in climate change, biodiversity conservation, wetlands and forests in DRC
  73. NOAH Friends of the Earth Denmark
  74. Nuclear Energy Information Service (NEIS), Chicago IL
  75. Occupy Bergen County, New Jersey, USA
  76. Ocean, Coastal and Ecological Alliance Network (O.C.E.A.N)
  77. OceanCare
  78. Office against Discrimination, Racism and Intolerance (ODRI)
  79. Oil and Gas Action Network
  80. Physicians For Social Responsibility Pennsylvania
  81. Port Arthur Community Action Network (PACAN)
  82. Red de Coordinación en Biodiversidad
  83. Reforest The Earth, UK
  84. Regional Advocacy for Women’s Sustainable Advancement (RAWSA)
  85. RISE for Environmental Justice (RISE4EJ)
  86. Santa Fe Forest Coalition, USA
  87. Sciaena – Ocean # Conservation # Awareness
  88. Scientists for Global Responsibility, UK
  89. Seas At Risk
  90. Servicios Ecumenicos para Reconciliacion y Reconstrucction, USA
  91. Société Civile environnementale et Agro Rural du Congo SOCEARUCO Sud Kivu, DRC
  92. Society for Conservation and Sustainability of Energy and Environment in Nigeria (SOCSEEN)
  93. Terra Advocati, Texas, USA
  94. The Gaia Foundation
  95. The Hoodwinked Collective
  96. The Pacific Network on Globalisation (PANG)
  97. Third World Network (TWN)
  98. TONATIERRA
  99. Turtle Island Restoration Network
  100. UBINIG (Policy Research for Development Alternative), Bangladesh
  101. Village Farmers Initiative (VFI), Nigeria
  102. WECF International – Women Engage for a Common Future
  103. Whale and Dolphin Conservation (WDC)
  104. WhatNext?
  105. Women’s Environment and Development Organization (WEDO)
  106. Women’s International League’s of Peace and Freedom (WILPF) UK
  107. 350 Mass